Potale Warroquiers, «Le Christ Nomade »
du 19 de la rue Jean Warroquiers à Liège.
Recherches historiques et restauration de la potale d’un christ d’Outremeuse caractéristique de la sculpture baroque liégeoise.
Subsides de la Région Wallonne

TOITURES ET CHASSIS DELHEZ SRL

Conseillers Ville de Liège : Laurent Bruck et Catherine Galimont
Restaurateurs : Joanna Pacewicz et Hadrien Paulus.
Porteur du projet : Christian Deffense. deffense.audiologie@skynet.be
Introduction
La dénomination de « Christ Nomade » a été donnée par le porteur du projet pour le différencier des nombreuses autres potales présentes à Liège.
Entre 2018 et 2020 grâce aux aides financières de la Fondation Roi Baudoin, de la Région Wallonne et de la Ville de Liège furent restaurées les façades décorées de sgraffites de la maison Art Nouveau « Iris » située rue de la Liberté, 6 en Outremeuse (photo ci-dessous).

Durant ce chantier notre attention fut attirée par le crucifix très expressif ornant la façade de l’immeuble mitoyen de la rue Warroquiers. L’avis populaire voulait que ce Christ en potale date de la construction de la maison en 1902, ce dont nous doutions au vu de l’histoire générale de l’art religieux des rues de Liège.
C’est ainsi qu’est né le projet d’approfondir la question. A notre requête les propriétaires de la maison qui héberge aujourd’hui la potale (la famille Rizello-Gallo) nous donnent l’autorisation d’engager les recherches et de solliciter les subsides nécessaires à la restauration éventuelle de ce Christ en très mauvais état.
C’est cette aventure passionnante, menée pas à pas et riche en rebondissements que nous essaierons de vous faire partager au travers de ces notes qui traitent dans un premier temps des recherches historiques préalables et ensuite de la restauration elle-même.
Nous espérons ainsi contribuer modestement à développer l’intérêt pour le petit patrimoine liégeois parfois discret et à le protéger.
A une époque où les points de repère se délitent la conservation d’éléments anciens bien visibles en façade des bâtiments trouve toute son importance.
Recherche historique
Si la restauration de ce Christ se justifie à nos yeux par son intérêt historique, folklorique et sa singularité (la majorité des potales étant dédiée à la Vierge) nous pensons que la proximité de la maison Art Nouveau Iris ainsi que du passage voûté du 17ème siècle (Arvô de Constant le Marin) concentrera l’intérêt des visiteurs qui trouveront sur un seul et même trottoir trois opportunités d’aborder l’histoire, l’architecture et les traditions de Liège.
Impossible de poursuivre notre propos sans aborder l’importance que revêt pour les liégeois la fête du 15 août durant laquelle la population se masse au pied des différentes potales pour attendre le passage du « bouquet » un haut mât décoré de fleurs. Le « Christ Nomade » de la rue Warroquiers n’échappe pas à cette tradition.
La rue Warroquiers s’appelait anciennement rue des Prés. C’est après la fusion des communes en 1977 qu’elle devint la rue Jean Warroquiers en souvenir de celui qui fut 50 ans plus tôt le premier président de la République Libre d’Outremeuse.

Photo de la potale avant 1990 : photos des archives de Madame Gavitelli de l’asbl « Le Vieux Liège ». Notons les anciens châssis aujourd’hui disparus.
L’enquête.
Madame Catherine Galimont, chargée de l’Art Public à Liège, interrogée par Monsieur Laurent Brück, découvre qu’avant 1928 ce christ se trouvait au 166 quai de Bêche appelé aussi quai des Remparts (aujourd’hui quai de l’Ourthe) formant le coin avec la rue de Bêche ou rue Tour en Bêche (aujourd’hui rue de l’Ourthe).
Monsieur Brück de l’Urbanisme de Liège nous procure alors différentes copies des archives du cadastre de la ville qui précisent que ce bâtiment qui hébergeait le christ appartenait à « Monsieur Bouille Louis jos Boulanger Ans » exproprié par la ville en 1928 (cadastre A 65C) comme de nombreux propriétaires voisins dont les maisons seront démolies pour permettre le réalignement du quai et l’élargissement de la dérivation. Une opportunité de plus, au départ de la potale, d’intéresser les visiteurs à l’hydrographie complexe de Liège et aux profondes transformations qui ont abouti au paysage que nous connaissons aujourd’hui. A la lecture des documents nous avions pensé dans un premier temps qu’il s’agissait de Monsieur Bouille Louis épouse Jos Boulanger ou éventuellement du prénom composé Louis-Joseph mais Monsieur Dury archiviste de l’Évêché corrige notre interprétation : « Monsieur Bouille (Boulanger de profession) époux Louis habitant à Ans ».
Ci-dessous expropriation de 1928, la surface en forme de L inversé encadrée en rouge sur le plan, correspond au numéro 166 voué à la démolition.

Ci-dessous, un extrait de la liste des expropriés. Notons la ligne qui mentionne Monsieur Bouille comme propriétaire du numéro 166. Le numéro de maison est effacé mais il fait suite au 164 bien lisible et au 165 dont le 1 est effacé.

Nous avons ensuite eu copie de l’acte notarié de Maître André Prévinaire à Vottem daté du 6 septembre 1968 relatif à la vente du 19 de la rue Warroquiers aux propriétaires actuels.
Cet acte notarié qui précise au chapitre « origine de propriété » que la maison de la rue Warroquiers fut construite en 1902 par Monsieur Lambert Matray époux de dame Anne Marie Marguerite Alice de Marneffe de Liège et que ce Monsieur Matray détenait le terrain avant son mariage par un acte d’adjudication publique dressé par Maître Ruth à Liège. C’est le fils du couple, Pierre Alexis Matray qui vendra en 1968 la maison déjà porteuse de la potale aux propriétaires actuels.
Ensuite fut contacté le cabinet de Maître Didier Matray afin de vérifier si un lien de parenté les unissait à Pierre Matray. Maître Matray se souvient que son père avait effectué des recherches généalogiques sur sa famille. Il précise que sa famille connaissait un Pierre Matray qui exploitait une pharmacie rue Haute Sauvenière à Liège. Probablement décédé, il eut trois filles dont deux sont toujours en vie : Vivianne Matray et Danielle Matray.
Maître Didier Matray se propose de les retrouver mais l’information qu’il me livre en date du 4 août 2021 précise seulement que le prénom de l’épouse du pharmacien Pierre Matray était Jeanne. Il n’y aura pas d’autre information trouvée à ce sujet.
Les recherches se poursuivent.
Nous découvrons conjointement que l’étude notariale Dupont Mélissa associée à Bodson Murielle à Liège est successeur en 6ème rang du Notaire Ruth qui a exercé entre 1877 et 1905. Toutefois renseignement pris en l’étude tous les documents de ce notaire sont retournés aux Archives de l’Etat qui nous informent que ces documents ont été détruits.
Si le crucifix fut déplacé pour le sauver des expropriations pour quelle raison a-t-il été déménagé précisément rue Warroquiers à 250 mètres de là ?
A-t-il été entreposé ailleurs en attendant sa réinstallation ?
Ce transfert supposerait-il un lien entre l’exproprié monsieur Bouille époux Boulanger et la famille Matray époux de Marneffe première propriétaire du 19 de la rue Warroquiers ?
Comme l’indique Monsieur Dury des archives de l’Evêché, les deux endroits ayant hébergé successivement la potale appartiennent à la même paroisse. C’est aujourd’hui le seul trait d’union à notre connaissance si ce n’est, nous le découvrirons plus tard, une présence originale possible du Christ dans des bâtiments du périmètre des Recollets et de Eglise Saint Nicolas rue Fosses-aux -Raines qui furent souvent réaménagés.
Notons que ce déplacement d’un crucifix du quai de l’Ourthe vers une autre rue d’Outremeuse n’est pas sans précédent, le mieux documenté étant celui de la rue Porte Grumsel numéro 2-4 comme nous le renseigne l’extrait ci-dessous de l’inventaire de patrimoine immobilier culturel : fiche 62063-INV-0903-02 reprise ci-dessous.

« Christ en croix ». L’effigie, probablement du milieu du 13e siècle, est fixée sur une croix portant le millésime 1776. Cette date correspond à la fondation de la société royale du “Bouquet d’Outremeuse”. Le Christ se trouvait autrefois quai de l’Ourthe, sur la maison Navarre, puis cour Maquet, enfin rue Porte Grumsel depuis 1934. Il fut déplacé en Roture en 1978. L’original a finalement été mis en dépôt au Musée d’art religieux et d’art mosan tandis qu’une réplique a retrouvé sa place rue de Berghes en 2002.
Cette carte contemporaine de Liège nous montre le point de départ du Christ Nomade du quai de l’Ourthe après 1928 (pastille rouge en bas) vers la rue Warroquiers (pastille en haut)

Les chances d’en savoir davantage sur les deux familles concernées passeraient donc par la consultation des archives des Paroisse de St Nicolas et d’Ans et du registre des naissances de l’hôpital de Bavière. Le 16 juin 2021 Monsieur le Doyen Jean-Pierre Pire nous a permis de les consulter, mais cela n’a donné aucune information nouvelle.
Monsieur Michel Rutten porte à notre connaissance la liste des 39 potales d’Outremeuse répertoriées mais le Christ de la rue Warroquiers n’y figure pas alors que le cortège « du bouquet » s’y arrête pourtant aux fêtes du 15 août.
A quoi ressemblaient en 1928 le bâtiment et sa potale expropriés du quai de
Bêche aujourd’hui quai de l’Ourthe ? Monsieur Michel Elsdorf nous livre deux photos pertinentes issues de son ouvrage « Outremeuse Autrefois »
Ci-dessous le cliché le quai de l’Ourthe avant démolition avec comme point de repère le pont d’Amercoeur à l’arrière plan.

Et ci-après le coin de l’actuel quai de l’Ourthe et de l’actuelle rue de l’Ourthe où se trouvait le christ avant la démolition du quartier. Bien que le christ n’y soit pas visible (il est hors cadre à la droite de la photo) ce cliché nous donne une idée de l’environnement de la potale avant 1928.

Aujourd’hui ces coins de rues rabotés par ’lexpropriation de 1928 correspondent aux immeubles à appartements relevant du style Art Déco du côté impair et moderniste du côté pair.
La photo ci-dessous nous montre les deux bâtiments de coin. Celui de droite sur la photo (qualifié de style moderniste) correspond au 28 quai de l’Ourthe (architecte G Lange) et correspond l’ancienne localisation du « Christ Nomade »
Le photographe se trouve dos à la Dérivation comme sur la photo noir et blanc précédente prise avant 1928.

Une autre question est de comprendre à quoi ressemblait le terrain initial sur lequel fut construit le 19 de la rue Warroquiers. Les terrains furent « reconquis » par démolitions immobilières et comblement de cours d’eau. Ces aspects sont abordés dans l’étude hydrographique qui fait l’objet d’un chapitre distinct.
Le dessin ci-après réalisé par J. Wuidar vers 1702 et extrait de l’ouvrage « Outremeuse Autrefois » de Monsieur Michel Elsdorf nous montre ’l espace où sera construite la future rue Jean d’Outremeuse à sa rencontre avec les futures rues de la Liberté (maison « Iris » aujourd’hui) et Jean Warroquiers (« Christ « Nomade » aujourd’hui). Le moulin visible sur le dessin était le moulin Gillet qui cessa ses activités en 1854 lors du comblement du biez.

Aspect social de l’expropriation.
Il est impossible d’aborder cette délocalisation du christ sans parler de l’impact psychologique subi par les habitants expropriés après 1928 de ce quartier populaire « du quai de Bêche » appelé aussi de « Derrière-les-Potiers » considéré par les autorités comme insalubre.
Les extraits ci-dessous du livre « Histoires d’Outre-Meuse et de Saint-Pholien » de Jean-Denys Boussart en matérialiseront le contexte.
Extrait 1
(…) on assainissait (certains dirent assassinait) le quartier en condamnant plus de 120 maisons, 203 ménages, 578 personnes ! Leur amour-propre n’avait pas été épargné. Félix Depresseux échevin des travaux publics de l’époque avait évoqué à la tribune que l’on édifierait dans le quartier Naniot des maisons pour ces familles expulsées de ces taudis (…)
Extrait 2
(…) La décision d’expropriation fut vécue comme une déportation (…)
(…) Le soir du 10 avril 1928 on relate qu’un long cortège bruyant avec les figures emblématiques du quartier, suivi d’un grand nombre de drapeaux et de bannières des sociétés locales, dont le vénérable Bouquet d’Outre-Meuse recouvert d’un crêpe noir, en signe de deuil (…)
Extrait 3
(…) Georges Rem journaliste écrit le 31 mars 1928 : « nous n’aurons plus le droit d’être dans ces petites maisons à potales où le soir on prend le frais sur le seuil pendant que le rayon du couchant fait luire li vî bon-diu (le Vieux Bon Dieux) et les chandeliers de cuivre.
Notons que selon Théodore Gobert (T1 page 65) « … on connaissait ces potales dès le 12ème siècle…quand les fidèles venaient y chanter un cantique…et les illuminaient au moyen de chandelles. »
Hydrographie
Voici un résumé de ce que nous livre la page 101 du « Guide architecture moderne et contemporaine 1895-2014 Liège – Sébastien Charlier- Thomas Moor- Elodie Ledur.
A l’origine, un archipel d’un air vénitien – tel qu’il nous est rapporté par les artistes et les écrivains – accueille les voyageurs venant de la route d’Aix-la-Chapelle, traversant une voie de faubourgs (l’axe des rues Puis-en-Sock et chaussée des Prés) aux parcelles étroites, et entouré d’un entrelac d’îles, enjambant la Meuse par le pont des Arches.
Sur ces terres fréquemment inondées plusieurs épidémies de choléra frappent la population, dont la plus importante, en 1866, fera 2500 morts, principalement en Outremeuse, sur les 105.000 habitants que compte la ville.
La politique d’assainissement du quartier est enclenchée.
Entre 1857 et 1880 le directeur des travaux publics Hubert-Guillaume Blonden mène l’assèchement progressif du site, l’endiguement de la Meuse et le creusement du canal de la Dérivation qui libère de nouveaux terrains constructibles et donne globalement à Outremeuse son allure d’aujourd’hui organisée autour d’un axe majeur : la rue Jean d’Outremeuse.
La rue Warroquiers
Avant la création de la rue en 1877, le biez des Grandes-Oies, un ancien bras de l’Ourthe coulait aux alentours de la rue actuelle tandis qu’un ancien bras de la Meuse « la Rivelette » passait par l’actuelle rue Saint Julien (biez Saint Julien). Dans ce dédale hydrographique maintenant comblé, il est difficile aujourd’hui de localiser la parcelle où fut construite la maison de la rue Warroquiers.
Les plans ci-après datés respectivement de 1649, 1737 et 1750 et comparés à une carte moderne nous aideront peut être à mieux nous situer.
Ci-après « Quartier entre Urte et Meuse vers 1649 De haut en bas le long de la chaussée d’Aix-la-Chapelle, le pont-des-Arques, Saint Folien, Saint-Nicolas, Saint Julien et enfin la porte d’Amercoeur vers l’Allemagne. A gauche les terres de Bèches et la Tour en Bèche ».

Année 1737 Année 1750 : le point rouge indique
la parcelle ou sera construite le 19 rue
Warroquiers


Sur le plan de 1737, œuvre du père Christophe Maire on observe au bout de l’axe principal qui traverse Outremeuse (les rue Chaussée des prés, Puits-en-Sock et Entre-deux-Ponts), le pont d’Amercoeur qui franchit l’Ourthe et constitue le point de départ du chemin vers l’Allemagne. La rue Entre-deux-Ponts (entre les ponts Saint-Julien et d’Amercoeur) est aujourd’hui absorbée par la rue Puits-en Sock.
Après 1928

Le plan ci-dessus montre l’expropriation du quai permettant d’approfondir la Dérivation et de réaligner les bâtiments comme l’indique le pointillé vert.
Cette parenthèse sur l’histoire de l’hydrographie de Liège et l’évocation des parcours des nombreux bras de l’Ourthe et de la Meuse comblés ou canalisés anciennement en Outremeuse ramèneront les visiteurs du site aux terribles inondations de juillet 2021 et à la problématique de l’endiguement des cours d’eau, du comblement et de l’imperméabilisation des sols déjà enclenchée à l’époque.
La restauration de la potale
Les différents devis de restauration et les commentaires qui les accompagnaient ont permis d’affiner notre connaissance du Christ alors qu’il était toujours accroché en façade.
Mais il est évident que seul le démontage suivi d’un examen approfondi des surpeints et des couches picturales allaient nous permettre d’affiner la connaissance du Christ.
Selon madame Corinne Van Hauwermeiren le Christ date du début 18ème ou de la fin du 17ème. Le Christ et le titulus sont bien caractéristiques de la sculpture baroque liégeoise, tandis que la croix et l’auvent sont de réalisation plus tardive.
Madame Christine Cession estime que la croix est surdimensionnée ce qui rejoint l’analyse de Madame Van Hauwermeiren qui estime que la croix est postérieure au Christ.
Madame Cession estime que le Christ renferme des fragments de métal. Elle situe l’ouvrage début 18ème.
Pour donner suite à notre requête, l’agence Wallonne du Patrimoine nous accorde le subside nécessaire à la restauration du Christ, de l’auvent et de la jardinière sur base des devis conjoints de Madame Pacewicz et Monsieur Hadrien Paulus qui parmi d’autres candidats furent sélectionnés selon les critères propres à l’agence.
Le 8 décembre 2022 le Christ entre en restauration à Eupen dans les locaux de la facture d’orgue Schumacher.
Si la potale n’avait pas été bénéficiaire d’une action conservatoire ce Christ en bois caractéristique de la sculpture baroque liégeoise risquait de devenir irrécupérable.
La croûte formée par ses nombreuses couches de peinture, l’exposition aux intempéries et à la pollution, le bois mis à nu à différents endroits, rendaient impossible une éventuelle datation de l’œuvre.
Le Christ mesure 60 centimètres de haut et 44 centimètres de large. La croix 160 centimètres de haut et 90 centimètres de large.
L’ensemble de la potale du sol au faîte de l’auvent mesure 4 mètres 60.
Le baroque liégeois ou baroque mosan également appelé baroque de la principauté de Liège ou baroque de Liège-Aix-la-Chapelle est une variante régionale du style baroque qui prospéra en particulier du début du 17ème siècle au 18ème dans la Principauté de Liège et dans la région d’Aix- la -Chapelle et de Maastricht. Les avis divergent sur l’étendue de cette période baroque. Le sculpteur Jean Del Cour est considéré comme le représentant le plus fameux de ce style à Liège.
Après l’âge d’or du Baroque liégeois des statues du Christ de même apparence ont continué à être produits et seule la restauration doublée d’une analyse stratigraphique et chimique pouvait déterminer son appartenance légitime à ce qu’il y a lieu d’appeler le « baroque liégeois ».
Avant restauration le simple examen visuel révélait que la croix en chêne, n’était pas celle d’origine, et qu’elle était surdimensionnée par rapport au Christ. Il s’agit probablement d’une croix plus récente récupérée sur une autre œuvre. Pour preuve on remarque à l’atelier que la croix a été limée à deux endroits pour ajuster la position des bras du Christ comme le montre la photo ci-dessous.


L’opération délicate qui consistait à dépendre le Christ, l’auvent et la lanterne fut réalisée par Monsieur Hadrien Paulus facteur d’orgue et la restauratrice Madame Joanna Pacewicz.
L’auvent lui fut déposé dans l’atelier de Monsieur Paulus, rue Henri Blès 35-37 à Liège pour restauration et pose d’un nouveau toit en zinc
La croix, le Christ et la lanterne arrivèrent à l’atelier de Madame Pacewicz le 14 septembre 2022 pour y rester jusqu’au 13 février 2023.
Madame Pacewicz entreprend de désolidariser le Christ de la croix et de commencer l’étude stratigraphique afin de retrouver la couche picturale originale.
Elle utilisera le scalpel sous microscope afin de procéder progressivement à la découverte des couches précédentes.

Le Christ avant la recherche picturale était couvert de différentes couches de peinture blanche imitant la peau. Le périzonium ainsi que le titulus étaient également peints en bleu.
Les stigmates étaient évidemment de couleur rouge.
Les photos suivantes du visage nous donnent une idée de l’état de dégradation initiale de l’œuvre.


Les photos suivantes nous montrent le travail minutieux de la restauratrice sondant et dégageant les différentes couches picturales de l’oeuvre.
On voit apparaître la couche de dorure assez homogène cachée sous les surpeints.



Sous la couche de dorure on voit dans la photo suivante que l’œuvre a été très anciennement décapée laissant apparaître le bois de tilleul recouvert d’une couche de shellac (gomme-laque issue de la sécrétion de la cochenille asiatique kerria lacca).
Ce procédé était utilisé pour unifier et faire briller le bois.
La photo ci-après montre sur la face latérale du mollet l’étagement du bois décapé, de la couche de shellac, de la dorure, de la peinture blanche, et sur le bois décapé en haut à droite du cliché une trace rouge.


Cette trace de pigmentation rouge est une information essentielle car après analyse spectrophotométrique à infrarouge réalisée à l’école St Luc à Liège par Monsieur Nico Broers de la société « Artbee Conservation » il apparaît qu’il s’agit, comme l’avait anticipé Madame Pacewicz du célèbre rouge vermillon, un pigment à base de sulfure de mercure appelé aussi cinabre.

Sont ensuite retrouvés dans la chevelure ce qui est probablement (elle n’a pas été analysée) du blanc de plomb appelé aussi céruse ou blanc de saturne qui est un hydrocarbonate de plomb. La céruse était ajoutée à la peinture à l’huile pour la rendre résistante à l’humidité et aux moisissures et accélérer le séchage et confirme aussi la datation.
Initialement le Christ était donc couvert d’une vraie polychromie qui fut en son temps profondément décapée. Cette découverte note incontestablement l’œuvre de la période baroque. Elle date l’œuvre du 17ème ou début 18ème. Une origine antérieure n’est pas à exclure, mais une analyse plus approfondie du bois est prévue.
Madame Pacewicz précise qu’il est courant qu’au fil des siècles les polychromies soient recouvertes de plusieurs couches de peintures alternées de décapages complets.
Le statues du Christ suivaient les modes : faux marbre, glacis, polychromes, aspect métal, surpeint, etc…
Ces constatations donnent la certitude d’une polychromie originale (à base de mercure et de plomb), qui n’est jamais prévue pour un usage extérieur et prouverait que notre « Christ Nomade » se trouvait initialement dans un édifice avant son arrivée dans le quartier de Derrière les Potiers.
Cette affirmation est recoupée par la nature du bois employé : le tilleul qui trop tendre n’est pas indiqué pour séjourner à l’extérieur.
Enfin (photo ci-dessous) les pieds du Christ très abimés révèlent à l’analyse des carbonisations dues à des brûlures de flammes de cierges qui confirment sa présence probable dans un endroit fermé comme un autel.
Cette constatation vient renforcer la conviction que l’œuvre provient d’un édifice religieux.

L’enquête en cours s’oriente vers une possible origine dans le périmètre du couvent des Récollets et de l’église Saint Nicolas rue Fosses aux Raines. Le Christ vu sa petite taille devait se trouver dans un autel secondaire au sein d’un édifice puis fut déménagé lors d’une de ces réorganisations assez fréquente dans les édifices religieux pour finir par être récupéré pour l’usage populaire à front de rue que nous lui connaissons. Une autre piste serait l’achat du christ par un particulier
lors de la vente des biens de l’église du couvent confisqués en 1798 par l’administration française.
A ce stade des travaux de restauration, se pose une question délicate…. quel aspect faut-il donner à l’œuvre avant sa réinstallation
Repeindre l’œuvre aux couleurs récentes qu’elle présentait au récent décrochage ?
Revenir à son apparence bois issue du premier décapage de la polychromie initiale ?
Réinventer un polychromie en s’inspirant d’œuvres similaires alors que nous ne disposons que de traces de son aspect original ?

La décision finale fut prise à l‘atelier de la fabrique d’orgues Schumacher à Eupen (photo ci-dessus) en concertation avec Madame Pacewicz la restauratrice, Madame Catherine Galimont chargée de l’art public à la Ville de Liège, la famille propriétaire de la maison représentée par Madame Gallo Rizello et moi-même initiateur du projet. Afin de respecter la nouvelle tendance de la restauration qui vise à rendre à l’œuvre, par des interventions minimales, son aspect original c’est donc la dorure déjà largement présente sur le bois qui fut choisie pour finaliser la restauration de l’œuvre.

Désormais tout le travail de la restauratrice consistera à consolider l’œuvre et à renforcer et à unifier cette dorure tout en conservant sa patine d’origine.


Joanna Pacewicz et Hadrien Paulus.

Détails de la lanterne restaurée et photo de la remise en place.


Conclusions en date du 23 février 2023.
Initialement le Christ était abrité dans un édifice très probablement religieux.
Il présentait à l’origine une polychromie caractéristique de la période du baroque liégeois (traces de cinabre)
Cette polychromie initiale fut décapée entièrement et le bois mis à nu recouvert d’une couche de gomme laque.
Plus tard cette couche de gomme fut recouverte d’une dorure visant à lui donner une patine effet bronze.
Cette dorure fut ensuite recouverte à plusieurs reprises d’une peinture bleue pour le périzonium et le titulus, blanche pour la peau, rouge pour les stigmates et la bouche.
Jusqu’en 1928 le Christ se trouvait exposé à rue dans le quartier de Derrière les Potiers au 166 quai de Bêche, quartier aujourd’hui disparu.
Il est arrivé rue Warroquiers après 1928 mais avant 1968.
Il fut restauré en 2022-2023 par Joanna Pacewicz selon le standard actuel qui vise à rendre à l’œuvre, par des interventions minimales, son aspect original.
Ce fut donc la dorure à effet bronze déjà largement présente sur le bois qui fut valorisée pour finaliser la restauration du « Christ Nomade» de la rue Warroquiers.
Les spécialistes consultés avancent une datation du christ au 17 ou 18eme siècle avec une fenêtre plus probable entre la seconde moitié du 17ème et la première moitié du 18eme.
Seule une analyse du bois plus approfondie pourrait encore ajouter à la précision de la datation.
A ce stade nous projetons de rechercher (au travers d’inventaires notamment) les œuvres ayant été présentes dans le périmètre des bâtiments Récollet- Saint-Nicolas trouvée
Synthèse réalisé par Christian Deffense le 23 février 2023.
T 0478 200 614
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Remerciements
Je remercie toutes les personnes qui m’ont aidé avec amabilité et compétence à mieux comprendre le « Christ Nomade » de la rue Warroquiers et à vivre cette recherche passionnante. J’espère n’en oublier aucune .
Mesdames et Messieurs : Brück Laurent, Buxant Philippe, Cession Christine, Crahay Jean, Dury Jean, Pascal, Dupont Melissa, Elsdorf Michel, Galimont Catherine,Gallo Rosario, Gourdon Delphine, Cayron Fanny, Geniets Véronique, Hauweirmerein Catherine , Matray Didier, Michel Bernard, Pire Jean-Pierre, Pacewicz Joanna, Paulus Hadrien, Pecasse Jean-Pierre, Pholien Caroline, Petit Caroline, Previnaire Gérard, Rizello Laura, Rizello Mario, Rutten Michel, Philippe Slootmans, Woos Erwin, Wilkin Bernard, Bernard Wery.
Bibliographie
Conférence de presse Jean-Claude Marcourt, Ministre du Patrimoine. Lancement de la procédure de classement des potales d’Outremeuse. 22 mai 2019. Agence Wallonne du Patrimoine- Inventaire du Patrimoine Culturel Immobilier. Inauguration de l’Exposition Universelle de Liège 27 avril 1905 – Paul Delforge – Institut Destrée –connaître la Wallonie.
Une histoire de l’architecture à Liège entre 1920 et 1940 asbl Art et Fac. Edtion de l’Échevinat des Finances et de la politique immobilière, du Tourisme et du Patrimoine de la ville de Liège-2015. Les cours de la Meuse et de l’Ourthe(Segefa,1999) F.Martial Quai de l’Ourthe.
Entretien et rénovation des façades (guide des bonnes pratiques /les châssis : guide de sensibilisation et les éléments décoratifs des façades : Échevin Hupkens Échevinat de l’Urbanisme. Le guide des bonnes pratiques pour embellir les façades : Michel firket Echevinat de l’Urbanisme. Ville de Liège/ les toitures : Entretenir, rénover, adapter, restaurer et transformer : Christine Defraigne Échevinat de l’Urbanisme. Inventaire du patrimoine culturel immobilier wallon » (http://spw.wallonie.be/dgo4/site_ipic/), sur http://spw.wallonie.be (consulté le 6 février 2018. Inventaire patrimoine culturel immobilier fich-inv-093-02.
Outremeuse autrefois Michel Elsdorf Noir dessin production 2016
Archives du diocèse de Liège archives@evechedeliege Archives de l’Urbanisme de la Ville de Liège.Archives de l’Etat : Chaque maison a son histoire. Guide des sources relatives au patrimoine immobilier privé Histoire d’Outremeuse et de St Pholien Jean-Denis BoussartIrpa/kik Photothèque /Institut royal du Patrimoine artistique/Elodie de Zutter.Festivités du 15 août en République Libre d’Outremeuse asblArchives « Le vieux Liège » asblThéore Gobert, Les rues de Liège, rééd, Bruxelles 1977,Encore un christ de l’ancienne cathédrale St Lambert (14me siècle) au trésor de Liège par Philippe Georges et Jean-Claude Ghislain.Gestion documentaire et Archives/archive@sliège.beGuide architecture moderne et contemporaine 1895-2014 Liège – Sébastien Charlier- Thomas Moor- Elodie Ledur. Les anciens remparts d’Outremeuse, du pont d’Amercoeur à la tour en Bêche- Claude Warzée.Wikipédia : Rue de la Liberté à Liège au 18ème siècle.Unimédia : Office du tourisme et Urbanisme Ville de Liège : plan visites de la passerelle au pont des Arches Wikipédia : la Renaissance Mosane.ude Warzée.Wikipédia : Rue de la Liberté à Liège au 18ème siècle.Unimédia : Office du tourisme et Urbanisme Ville de Liège : plan visites de la passerelle au pont des Arches Wikipédia : la Renaissance Mosane.